Naissance et poésie – le cadeau d’une sage-femme
L’année dernière, à pareille date, je vous racontais
la naissance de mon fils, Vincent.
Ce matin, en fouillant dans mes archives, j’ai découvert le poème que nous avait offert Huguette Boilard, notre sage-femme en or, deux jours après avoir présidé à la nuit d’amour et de magie que fut cette naissance à la maison. Inspirée par ce que nous venions tous de vivre, elle avait tapé son poème à la machine — ah, l’ancien temps! — pour ensuite y joindre un p’tit billet écrit à la main, question de faire plus «personnel».
Hommage de femme à celles qui ont
amoureusement donné la vie
par Huguette Boilard
29 avril 1979
Elle sourit,
surprise par une onde nouvelle
qui la caresse, arrondit et
gonfle son ventre
L’utérus prend vie,
s’anime de son intérieur bourré
d’une chair tendre
Elle sourit!
Son homme, tout proche,
fidèle,
lui ressemble,
il sur-veille la vie
Respire,
se détend,
contracte,
se repose…
Des vagues tantôt douces,
tantôt violentes
l’assaillent si tendrement
qu’elle les attend, les espère.
Ses yeux luisent,
tout juste lavés d’une fine
rosée de larmes,
celles qu’on laisse couler parce
qu’elles sont bonnes et dignes,
gouttelettes pures appelant la vie.
Son travail la broye doucement.
Fière,
Forte,
Femme debout,
Grande et fragile,
Elle savoure du plus profond de son ventre
les mouvements pour nous imperceptibles
de l’enfant qui s’avance.
Ses hanches se balancent
Son bassin vibre
s’ouvre
s’offre à la vie
comme le nénuphar à la clarté de l’aube
Sa respiration s’accélère,
Une émotion nouvelle,
sensation de plénitude
qui ouvre les cuisses
Fécondité réalisée,
Foetus à terme!
Oeuf minime couvé durant
neuf longs mois… si courts…
La vie
La vraie vie…
Un cri guttural et…
on ne sait trop qui,
de la mère ou de l’enfant,
décide de tout rompre
L’aquarium s’est fracassé!
Un liquide douçâtre, chaud,
à odeur de sperme frais
s’écoule entre ses jambes de
femme pleine.
S’ensuit un orgasme brutal :
les contractions prennent le pas de course,
Elle ne respire plus
elle halète animalement.
De respect tous baissent les yeux
Ces instants d’éternité, où seul l’instinct
a droit de cité,
unissent nos entrailles.
Sur son homme
sur la sage-femme
le liquide amniotique a coulé aussi,
Existe-t-il plus sainte eau pour asperger
les aimés?
La tête glisse, les gestes se bousculent
avec lenteur… orchestrés de mains
de femmes fertiles.
Elle halète, et geint,
doux rappel d’une intimité,
d’un coït cosmique où deux êtres
se sont étreints à jamais.
Femme féconde,
bonne comme l’humus ;
en elle gonfle
germe
éclate la semence…
Tête baissée,
recroquevillé sur lui-même,
l’enfant chemine dans le labyrinthe
vaginal.
Son coeur bat,
il a hâte.
Autour d’elle, les yeux la fixent,
les mains se font tendres,
on attend l’enfant.
Doux silence,
Respect de ces lieux sacrés,
On s’agenouille au pied du lit…
pour l’accueillir.
Crâne gluant,
Épaules tendres et velues…
Un cri…
Il se laisse glisser d’elle…
Dans un mouvement circulaire
et complet,
On le dépose sur le ventre chaud,
creusé,
Berceau magnifique
que seule la femme sait préparer.
Un instant on veut hurler cette
mise bas…
Mais l’énergie vitale se transforme
en chuchotements
en caresses
en un sanglot aussi délicat que ramage
d’hirondelles.
Les ventres tressaillent
Des mains se joignent
Des bouches se cherchent…
Alors que l’enfant expérimente sa première tétée
Cette femme, consacrée, se détend, rejette sa tête
en arrière dans un geste jouissant.
L’allaitement est bon.
Et se poursuit la farandole de la naissance,
la danse de la vie.
Qu’ils chantent donc ces ciels auxquels
on a cru!
Qu’ils jouissent donc ces anges dont
on ignore le sexe!
Que s’ouvre la grande fête,
celle des femmes pleines,
des enfants au sein;
Celle des filles devenues fertiles;
Celle des hommes jaloux de n’avoir
ni ventre habitable ni mamelles gonflées.
Que s’entende dans la nuit devenue
matin
un hymne si pur…
Que les lourds épis et les frêles pousses
taisent leur murmure…
Le nouveau-né a souri et s’est endormi…
La voici donc, cette chère Huguette, savourant une bonne bière froide alors que Gilles, le papa, termine la toilette de Vincent. Ça se passait quatre mois plus tard, plus précisément le 15 août 1979, et je ne sais pas si c’est parce que j’avais savouré de la bière moi itou que la photo est si floue mais bon, c’est la seule photo que j’ai avec Huguette.
Bonne fête Vincent…
JE T’AIME
xoxo