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7 juin 2010

À califourchon sur le guéridon – ou comment j’ai utilisé le mot SARCLURE

Je suis tombée récemment sur une page Facebook — Les auteurs du magazine «L’esprit de la lettre» — et j’ai vu qu’une amie en faisait partie. J’ai cliqué sur «like» et presto! j’étais membre.

Le jeudi suivant mon adhésion, je reçois un message du responsable du groupe, Dominique Bar, qui nous rappelle que l’on doit lui faire parvenir notre «mot» par message privé.

SARCLURES À califourchon sur le guéridon

Je lui expédie «sarclure» — pigé au hasard dans le dictionnaire — et en retour, je reçois les règles du jeu :

  1. Le jeudi, chaque participant envoie un mot à Dominique, en message privé, mot qui sera aussi le thème de son texte.
  2. La liste des mots est publiée le samedi ; chaque participant écrit un texte ou un poème avec les mots des autres participants, sur le thème de son mot à lui. (vous suivez?)
  3. Le participant a jusqu’au mardi pour écrire son texte. Une fois terminé, il l’envoie à Dominique — toujours en message privé — avec une photo ou une illustration quelconque se rapportant à son mot/thème.
  4. Les textes sont publiés le mardi soir.
  5. Mercredi, tout le monde lit et donne ses impressions.
  6. Jeudi, on recommence.

Ouf… je trouvais ça compliqué!

Moi, les affaires structurées avec des choses imposées et des échéanciers serrés, ça réveille la procrastinatrice en moi.

J’ai voulu débarquer, mais Dominique m’a suggéré d’essayer.

Alors me v’là — en retard de 6 jours, mais me v’là.
J’ai accompli mon petit pas.
Hourra!

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Avant de vous présenter mon texte, voici les mots proposés par les participants:

Liste #1

Machiavel, clepsydre (horloge à eau), satin, sicaire, apocalypse, rêves, bestial, ostracisme, obligation, dettes, folie, onirique, lavoir, sarclure, Polyphénols, écorce, guéridon, coton, totem, déflagration, enclavée, sable, psyché, inacceptable.

Liste #2

Etretat, Danny Boy, hamac, chouette, mur, éloignement, élogieux, collaboration, mensonge, folie, onirique, potelé, évasion, Amour, maman, ange, flaque, potelé, évasion, assourdissant, magie, malice, la grattouille, califourchon, absent, sentiments, serment, espoir, humilité.

Dominique a précisé qu’on pouvait ou bien choisir une des listes, ou bien composer notre propre liste avec les mots suggérés. Dans mon cas, j’ai décidé de tous les utiliser — la totale!

Ça donne ce qui suit…

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À califourchon sur le guéridon
par Mudd Lavoie
alias Oza Meilleur

CHAPITRE I

Horreur! Je me suis rendu compte du phénomène ce matin, à 5 heures. Même que le mot «phénomène» arrive à peine à décrire cette chose incompréhensible et franchement freakante qui s’est produite au cours de la nuit… comme par magie.

C’est l’envie d’uriner qui m’a réveillée. Hier, j’ai passé la soirée à boire du thé glacé car il faisait chaud et je devais mettre la touche finale à mon scénario. En tout, j’ai dû en ingurgiter au moins 4 litres, alors la vessie…

Mon nouveau bébé — À califourchon sur le guéridon — est un genre de comédie dramatique à la Woody Allen avec des crises de nerfs en famille et des scènes plus surréalistes où les personnages ne font que bouger les lèvres sans émettre un son. Comme je l’avais déjà fait pour mes scénarios précédents, j’ai travaillé sur À califourchon sans arrêt… stressée… découragée… parce que  je voulais le rendre parfait avant de l’envoyer à mon amie — par courriel, à midi et demie — afin qu’elle le lise et me dise ce qu’elle en pense.

Elle, c’est une vieille baronne autrichienne, une chouette aristocrate élevée dans la ouate qui en 1943, au péril de sa vie, traversa l’Europe en guerre et l’Atlantique en bateau, pour finir par s’échouer avec ses immigrants de parents — sans espoir et sans argent — sur la rue Gertrude, à Verdun. Elle y demeurait encore au moment du triste événement, toujours dans le même logement, mais seule depuis la mort de ses parents.

Son père est décédé en 1965, victime d’une déflagration d’explosifs à l’orée du bois, à Saint-Donat. Accident de chasse, qu’ils ont dit, à l’époque. La baronne croyait plutôt à un règlement de compte — une affaire de dettes de jeu.

Quant à sa maman, qu’elle appelait son Ange, celle-ci s’est noyée après s’être jetée en bas du pont Champlain, en 68. La pauvre femme était sous l’emprise du LSD qu’un sicaire avait glissé dans son café, à l’heure du lunch, au comptoir du snack-bar Chez Pierrette. Le pire dans cette tragédie c’est que le tueur s’est trompé de victime! Le puissant hallucinogène était sensé aboutir dans le milkshake aux fraises de la cliente assise à côté de la mère de la baronne.  Le sort a mal frappé…

Les recherches entreprises pour retracer cette cliente furent inten- sives. Les policiers ratissèrent d’abord la région de Montréal pour ensuite couvrir la province de Québec au complet. Malgré leurs efforts, l’inconnue demeura introuvable. Pourtant, on en avait donné une excellente description : âgée entre 50 et 55 ans, grande, costaude, cheveux roux au ras du cou, le bras droit potelé et tatoué de poèmes de Verlaine, le gauche, tout maigrelet, au bout duquel pendait une main flétrie dépourvue du majeur et de l’auriculaire.

Évasion? Disparition?
Mystère!

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CHAPITRE II

Notre collaboration, entre la baronne et moi, durait depuis plus de 3 décennies. Je vous le dis sincèrement, je n’éprouvais pour ma chère autrichienne que de bons sentiments. Si seulement elle avait accepté de sortir de son cocon d’anonymat, j’aurais pu l’encenser publiquement de mots élogieux.  Mais non.  Il m’était strictement interdit de la nommer. Elle aurait été démolie si j’avais divulgué son identité. Que voulez-vous, c’était un être secret et d’une grande humilité qui préférait sa sombre solitude aux spotlights de la célébrité.  Une vraie cloîtrée.

Toujours est-il qu’après avoir uriné, je suis allée au fond de ma hutte, là où j’ai mon atelier. J’adore ce coin : de la fenêtre au-dessus de ma table de travail, je vois la plage qui s’étend à perte de vue. Vous savez, c’est l’une des plus belles plage de la planète, célèbre pour son sable si fin et si brillant qu’on dirait de la poudre de satin.

Mais c’est pour jeter un coup d’oeil sur mon scénario que je m’étais rendue dans mon atelier. Pour feuilleter ses pages et savourer quelques passages avant de retourner me coucher. Machiavel, ma grosse boule de poil gris, était sorti du lit, lui aussi, et ronronnait en se frottant sur mes chevilles. Chevilles qui dépassaient de mon pyjama flambant neuf, rétréci au lavage ― maudit coton cheap!

À l’autre bout de la hutte, Danny Boy, un cracheur de feu rencontré un soir de bamboula… ça doit bien faire un mois de ça… et que j’ai accepté d’héberger jusqu’à ce que sa grattouille là-où-vous-devinez  soit guérie… ouais… Danny Boy, donc, ronflait à grands coups de trompette dans son canot d’écorce.

Ce qui est ridicule quand on pense qu’il aurait pu dormir dans le hamac, sous les étoiles. L’installation est parfaite : un bout du hamac est attaché au cocotier qui se dresse devant la fenêtre de mon atelier, l’autre bout est solidement noué au totem que j’ai sculpté et érigé sur mon terrain, l’automne dernier, parce que c’était un rêve que je tenais à réaliser et que j’en suis fière. Sauf que je n’en gosserais pas un autre, par exemple. Non merci. UN totem, ça suffit. Un deuxième totem dressé dans le sable de satin de ce coin reculé de la Polyphénolsie serait esthétiquement inacceptable. Ça frôlerait la folie. Alors par respect et par amour pour ce paradis, j’ai fait le serment de ne plus jamais sculpter de totem. That’s it, that’s all!

Pour revenir au fameux phénomène, le choc fut terrible dès que mes yeux se posèrent sur la première page du scénario : des mots… des mots que je n’avais pas écrits… des mots étrangers — et certains d’entre eux carrément insensés — avaient poussé, çà et là, à travers mon texte. Des mots qui défiguraient mon oeuvre… la salissaient! Des mots semblables à de vulgaires mauvaises herbes qui seraient apparues, du jour au lendemain, au milieu d’un jardin Zen.

Apocalypse Now!

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CHAPITRE III

Dans l’obligation que j’étais de remettre à la baronne un texte impeccable, je me suis armée de patience et j’ai commencé à arracher les intrus, l’un après l’autre, en prenant soin de ne pas m’attaquer aux bons mots — ceux que j’avais tant peiné à planter aux endroits appropriés.

J’ai pouffé de rire lorsque j’ai débusqué les «clepsydre», «ostracisme» et autres «Etretat» — comment avaient-ils pu penser que je ne les remarquerais pas?

Et j’ai lâché un YESSSSSS! d’allégresse quand vint le moment de déraciner les derniers salopards — «lavoir», «bestial», «enclavée», «psyché» — et de les empiler sur le tas de sarclures où pourrissaient déjà les mots que j’avais extirpés en premier — «mur», «mensonge», «assourdissant», «éloignement»…

Finalement, à midi et demie tapant, le courriel contenant mon scénario quittait la Polyphénolsie pour la rue Gertrude où l’attendait la baronne dans son fauteuil Elran.

Mission accomplie!

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ÉPILOGUE

Le texte arriva chez la baronne… bourré d’incongruités!

Les squatters avaient profité des quelques secondes qu’avait durées la transmission du courriel pour s’enraciner à nouveau dans les pages de mon scénario, plus nombreux et plus vicieux que jamais.

Face à la confusion engendrée par la présence de ces usurpateurs, l’histoire n’avait désormais ni queue, ni tête. La baronne en est morte sur le coup, foudroyée par l’absurdité.

~ FIN ~

dessin fleurs